GALA DE GAFFES A GOGO

Par Franquin et Jidéhem


Inouï ! Il y a UNE VACHE DANS LES BUREAUX de la Rédaction !

DE QUI SE MOQUE-T-ON ?

Avant toutes choses, je tiens à vous dire que l'événement inqualifiable qui trouble la sérénité de la rédaction ne m'a pas fait perdre mon calme. Il faut que vous sachiez que la petite plaisanterie de Gaston est la triste réalité. C'est vrai : la vache est là. Il y a un bureau dans notre vache... euh... une vache dans nos bureaux. C'est insensé ! Impossible de travailler dans ces conditions !

 

Heureusement que je conserve mon ruminant, car ce calme intempestif... Qu'est-ce que j'écris ? Peux plus me concentrer... Et impossible de la brouter... non, de la bouter dehors, cette bestiole vulgaire. Impossible !

Ce matin, j'ai appelé trois déménageurs. J'ai dompté mes nerfs et j'ai dit : "Il y a une vache chez nous, au sixième. Voulez-vous venir nous l'enlever ?" Le premier a raccroché. Le second a crié "Au fou !" Et le troisième m'a dit "Meuh !". Insensé ! Heureusement j'ai su me dominer... J'ai promis une belle botte de foin... Ah ! cet épouvantable animal, que ne me fera-t-il pas dire ? J'ai donc promis un beau tas de billets à une quatrième armoire à vache... à glace, pardon, pour qu'il vienne. Et il est venu. Il a vu. Et puis il m'a parlé de son syndicat, de l'honneur de la corporation, de son standing. Et il est reparti. Sans la vache.

Elle est là. Elle me nargue de son oeil intelligent. Elle vient d'avaler mon téléphone. Si elle pouvait engloutir Gaston...

Evidemment je suis méchant à l'égard de ce pauvre Gaston. Son seul tort est son incommensurable bêtise. j'espère que vous me pardonnerez si mon style est un rien incohérent. Je n'en puis plus. Si ça continue, j'enverrai ma démission. Car c'est décidé ; il faudra que l'on choisisse : CE SERA LA VACHE OU MOI.

Fidèlement vôtre,
FANTASIO.



En tout cas, je l'ai mis au pas, moi, ce Gaston. Je lui ai dit : "Gaston, c'est entendu, on ne peut pas mettre votre vache dehors. Donc elle doit (provisoirement, je l'espère) rester ici. Donc, puisqu'elle est à vous, vous allez vous en occuper, vous allez veiller à ce qu'elle ne manque de rien et, surtout, à ce qu'on ne l'entende plus !".
Voilà ce que je lui ai dit, moi, à ce Gaston !

Votre résigné,
FANTASIO.




Les ennuis sont finis. Les déménageurs sont là. J'ignore d'où ils viennent, qui ils sont, pourquoi ils se sont finalement décidés... Mais l'essentiel est qu'ils soient là. Je les entends déjà dans les couloirs. Dans quelques instants, ils pénétreront -les braves gens !- dans ce bureau d'où je vous écris. Et ils n'en sortiront qu'avec la vache.

Avec la vache, vous vous rendez compte !

Votre soulagé,
FANTASIO.




Ce bureau était une ferme, avec son cheptel, son fourrage, sa baratte et son écrémeuse. Depuis ce matin, c'est le temple de l'anarchie. Car, bien entendu, la vache est toujours là. Mais il y a du nouveau. Depuis ce matin, disais-je, le désordre a fait son apparition dans les locaux de la Rédaction en l'espèce d'un train électrique qui se meut sur des mètres et des mètres de rails. Il y en a partout.

Ca part de la salle de documentation. De là, vous tournez à droite pour pénétrer dans le labo des photographes, d'où vous ressortez pour foncer en ligne droite, au travers du bureau de dessin, parmi les jambes et les pieds de table... La secrétaire du rédacteur en chef pousse un cri perçant chaque fois que le convoi passe sous sa chaise. Un dessinateur, qui venait présenter ses services, voyant cela, a pris ses jambes à son cou en criant : "Au secours !". Il croyait être tombé dans un asile d'aliénés. D'ailleurs, à ce train-là, nous y passerons tous. Je vous le dis, moi, Fantasio, c'est intenable ! Cela ne peut plus durer... JE SENS QUE JE VAIS FAIRE UNE CATASTROPHE !...

FANTASIO.




Il s'agit de la deuxième apparition de M. DeMesmaeker. Les propos de Fantasio illustrent parfaitement la situation. Bien malgré lui...

Invention : Le Mastigaston.

Recette : Le Poisson d'Avril.

GASTON DIT QUE CETTE VACHE EST MA BETE NOIRE

... et qu'on voit bien que je déteste les animaux, depuis les canaris jusqu'aux hippopotames... C'est faux. Je suis le plus grand ami des bêtes qu'il y ait sur cette terre. Seulement je n'aime pas beaucoup travailler jusqu'à deux heures du matin chez moi, tous les soirs, pour terminer les travaux que la présence du ruminant m'a empêché de mener à bien au bureau. Voilà pourquoi je ne porte pas cette vache dans mon coeur. D'autant moins que Gaston m'a dit : "D'accord, tu fais des heures supplémentaires à cause de la vache. Mais n'as-tu pas son bon lait pour reconstituer tes forces ?" Grrr...

 

FANTASIO.




CA VA BARDER !

M. Dupuis nous annonce le terme de son voyage d'affaires et nous confirme son retour pour le début de la semaine prochaine. Que se passera-t-il exactement lorsqu'il tombera nez à nez avec le ruminant ? Personne ici n'ose les imaginer. Mais tout le monde est prêt à parier que M. Dupuis n'appréciera que médiocrement l'initiative de Gaston. CA VA BARDER !

FANTASIO.




GASTON EST MIS A LA PORTE !

L'inévitable s'est produit. Depuis ce mardi à 13 heures 47, le dénommé Gaston Lagaffe a cessé de faire partie de la Rédaction de "Spirou". Dix minutes après la notification officielle de son renvoi (sans préavis), Lagaffe a quitté pour toujours les Editions Dupuis. Une solution serait en vue en ce qui concerne le problème de la vache :

M. Dupuis décide, pour débarrasser la Rédaction de la vache qui l'encombre, d'en faire le premier prix d'un concours gratuit.




L'inventaire stupéfiant effectué après le départ de Gaston :

Parmi les nombreux objets qui encombraient le bureau de Gaston -sans parler de la vache et des diverses commodités dont l'animal ne pouvait se passer-, nous avons retrouvé 6.372 fixe chaussettes rose pâle.

Pointure d'une espadrille découverte entre deux albums des aventures de Tintin : 54,5.

Dans un coin du grenier, nous avons transporté en hâte divers objets empilés qui bloquaient la fenêtre. Par exemple : trois paquets de poil à gratter, une chaise en caoutchouc, une batterie de jazz (peaux trouées), la plus grande attache trombone du monde (réalisée à partir de tuyaux de conduction d'eau), des cuillères à café fondant dans le café, six boîtes de fluide glacial, quatre douzaines de billets donnant droit à un tour gratuit en auto tamponneuse, les soixante trois clés égarées par nos collaborateurs depuis six mois, l'épave du prototype du planeur "Sonny" et six caramels déballés.




PAUVRE GASTON

Je l'ai entrevu ce matin dans la rue. Il ne m'a pas reconnu. Du moins, je le pense. Il marchait, plus voûté que de coutume, comme accablé par la fatalité. Il avait l'air si triste que je fus sur le point de traverser la rue pour lui dire que...

Mais qu'aurais-je pu lui dire ?

Je n'ai pas traversé la rue. Comme un voleur, j'ai rasé les murs à pas de loup et je me suis sauvé.

Pauvre Gaston...

J'ai pensé à lui toute la journée et, ce texte mis à part, je n'ai rien pu faire.

J'ai pensé à lui qui tout seul, sans ressources, va passer les fêtes de fin d'année dans l'amertume. Et j'ai ressenti comme un insupportable remords...

FANTASIO.




VITE ! ECRIVEZ POUR SAUVER GASTON

Oui, c'est moi, Fantasio, qui lance cet appel ! Je sais : Gaston m'a souvent mis à deux doigts de la dépression nerveuse, il commettait les pires gaffes... mais son départ laisse ici un vide qui pèse (pourquoi, bon sang !) sur ma conscience !

Et puis, que va-t-il devenir, Gaston, jeté brutalement à la rue, zéro authentiquement sans emploi, innocent niais peu doué pour mener le dur combat de l'existence ?

C'est une grande épreuve de force qui s'engage entre l'éditeur et les lecteurs. Mais je compte sur votre nombre et votre éloquence pour la gagner. VOUS FEREZ REVENIR GASTON !

FANTASIO.




ECRIVEZ ENCORE !

DEJA DES MILLIERS DE LETTRES EN FAVEUR DE GASTON ; CE N'EST PAS ASSEZ. ECRIVEZ ENCORE !

Faites-le pour me faire plaisir ! Faites-le pour sauver Gaston ! Faites-le pour essayer le nouveau stylo de vos étrennes, mais écrivez à M. Dupuis pour le décider à reprendre Gaston !

FANTASIO.




LA DIRECTION DES EDITIONS DUPUIS EDITEUR DE SPIROU

cédant bien malgré elle aux innombrables pressions extérieures dont elle a été l'objet, a le regret de vous annoncer que le sieur

GASTON LAGAFFE

né à Marcinelle d'une erreur de jeunesse d'André Franquin, est réintégré dans l'équipe de la Rédaction. Le susnommé recommencera donc la semaine prochaine à semer le désordre et la confusion dans ce journal.

Il n'y a pas de quoi pavoiser !