André FRANQUIN

SON PREMIER DESSIN PUBLIE


Il disait : "Pourquoi pas mes premières couches ?" ... Mais vous savez combien les artistes sont difficiles

Les gens sont bizarres. Tenez, par exemple, le dessinateur André Franquin, celui qui a inventé le Marsupilami et Gaston, et Modeste et Pompon, et tous ces héros qui depuis des générations enchantent tout le monde. André Franquin détestait qu'on parle de lui. L'interview était pour lui une corvée et il s'était juré qu'il ne passerait jamais plus devant une caméra de télévision. Mais en même temps, il détestait faire de la peine aux gens.

Quand on lui disait combien il était indispensable de doter d'une préface tous ces somptueux albums qui retracent sa carrière, quand on lui expliquait combien, nous tous, nous avons besoin d'en savoir plus sur lui, il se laissait faire. Mollement, sans enthousiasme, il laissait échapper un mot, sortait une photo d'un tiroir ou mentionnait un événement vieux de cinquante ans.

C'est ainsi que Franquin fit allusion un jour à un concours qu'il aurait gagné il y a très longtemps. Un concours organisé par un journal. Et il aurait envoyé un dessin qui aurait été publié. Ce serait donc le premier Franquin jamais imprimé...

Lorsqu'il prit connaissance des recherches entreprises pour retrouver cet article, il haussa les épaules, et demanda avec ironie si on publierait aussi ses tâches de méconium dans ses premières couches.

Il lui fut rétorqué : "Et toi, ça ne t'intéresserait pas de voir le tout premier dessin publié par Hergé ou par Moebius ou bien...".

Il répondit que oui, bien sûr. Mais eux, ce sont des dessinateurs intéressants. Toute recherche qui le concerne lui semble superflue et gênante. Tout intérêt qu'on lui porte lui semble mal placé. Il serait horrifié à l'idée qu'on le croit m'as-tu-vu.

Il compliqua donc la vie de nos fouilleurs de bibliothèque, en ne leur donnant qu'à la toute dernière minute les renseignements qui leur manquaient. Ce qui leur valu d'arriver en retard à l'imprimerie et Monsieur Boulier, le chef du service de vente des albums, fut très mécontent.


(Extrait de LA NATION BELGE
du 25 août 1935)

Voici un jeune concurrent, André FRANQUIN (11 ans), qui a fait preuve de beaucoup d'originalité en pensant à dessiner une des jolies perruches bleues du parc des Attractions.

"Il y a là, écrit-il, une petite aubette (1) où se tient un éleveur d'oiseaux, marchand que mon père connaît.

"On voit, exposées, plusieurs espèces d'oiseaux et surtout des perruches.

"Comme mon père a près de 250 perruches en volière, je remarque toujours où il y a de ces oiseaux.

"Je me suis dit que dessiner des pavillons était trop facile et c'est pourquoi j'ai dessiné la perruche que voilà." (2)


Miss Univers par André Franquin

C'était au temps où Bruxelles brusselait, mais le cinéma était parlant. Il y avait la grande exposition mondiale et le quotidien LA NATION BELGE avait invité, dans sa page dominicale d'Actualités Enfantines, tous les jeunes lecteurs à envoyer des reportages et des dessins consacrés à cette vaste manifestation.

L'un des plus assidus de cette rubrique était le petit André Franquin de 11 ans et demi, qui ne se contentait pas de jolis dessins, oh ! non. Il y allait de son plus beau style narratif et le récit de sa dernière visite à l'Exposition, au moment où elle allait fermer ses portes, suscita des commentaires flatteurs de la part de la rédactrice de rubrique.


Dix ans après, voici le premier dessin de Franquin publié dans Spirou le 22 novembre 1945. Franquin lui trouvait beaucoup de ressemblance avec celui qui se trouve à droite, au moins dans l'attitude de Zorglub.

22 ans plus tard,
un dessin paru dans le SPIROU
du 2 novembre 1967.


Ce bon petit diable paraît à la Noël de 1945

Le petit diable ci-dessous, était disait-il, la première occasion qui lui a été donnée de faire dans SPIROU un dessin de circonstance.

Depuis lors, les occasions d'illustrer Noël et Pâques se sont reproduites avec la régularité d'un calendrier, et Franquin détestait tellement ça qu'il avait demandé qu'on supprime quelques très jolis dessins, tout simplement parce qu'il lui déplaisait d'avoir eu autrefois à dessiner des santons.

 


Dans l'Europe occupée par les nazis, au début, la vie avait continué sans grands changements. La publication de petits journaux pour la jeunesse comme Spirou était tolérée par la Propaganda Abteilung ; on y publiait même des séries américaines comme Red Ryder, de Fred Harman, rebaptisé Cavalier Rouge.

Mais il y avait de moins en moins de papier. Les Allemands préféraient consacrer les maigres stocks à leur propagande, et Spirou a vu rétrécir son format, évaporer son nombre de pages, jusqu'à la totale interdiction de paraître.

Si la presse était très rationnée en papier, du moins celle qui ne servait pas directement l'effort de guerre allemand, l'édition de livres était moins réglementée. Et en 1944, l'éditeur de Spirou a imprimé un almanach, un petit bouquin rassemblant ce qui, normalement, aurait dû paraître dans le journal. Ca s'est très bien vendu. Si bien même qu'un an après, il en a été fait une réédition. Franquin croyait bien être l'auteur du texte, qui montre plus de bonne volonté que de concision efficace, servant de légende à ce dessin de 1945.

L'almanach 1944, réédité en 1945, s'est très bien vendu. Aussi, en 1946, l'éditeur a décidé de lancer un Almanach 1947. Jijé, qui dans les dernières années de la guerre avait été l'homme à tout faire de Spirou (il avait conclu à sa manière une bande de Red Ryder dont les pages ne pouvaient plus être publiées), souhaitait travailler à des projets plus ambitieux, notamment une version au lavis des Evangiles, texte revu et corrigé par un éminent jésuite, et aussi une nouvelle version de la biographie de Don Bosco, très beau succès de vente dans les écoles catholiques. Bref, il n'avait plus le temps. Il a confié à Eddy Paape le dessin de sa série Jean Valhardi ; à André Franquin la conception de Spirou et Fantasio. Les premières bandes dessinées de Paape et Franquin ont paru dans l'Almanach 1947 en compagnie d'une série toute nouvelle d'un nouveau venu à la BD : Lucky Luke, par Morris. Franquin disait : "En fait, cette histoire de tank était un test. On voulait savoir si nous aurions le souffle suffisant pour une publication hebdomadaire..."

Franquin a dessiné Spirou et Fantasio jusqu'en 1968. Il avait du souffle, le petit.