1966 : Syd Barrett
A Londres, Waters rencontre deux autres étudiants en architecture, Nicolas Mason (batterie) et Richard Wright (claviers). Ensemble, ils forment un groupe de rhythm and blues dont le nom ne cesse de changer. Plus tard, Syd viendra les rejoindre et baptisera le groupe The Pink Floyd d'après le nom de deux obscurs bluesmen américains de Georgie, Pink Anderson et Floyd Council.
Pour sa part, David Gilmour fait le tour des plages françaises avec les Flowers. Il joue les compositions folles de Jimi Hendrix, sa nouvelle idole. Le quatuor, de son côté, se produit en juin au Marquee dans le cadre d'un Free School Benefit Concert. Un jeune manager les remarque. C'est le début d'une vraie carrière professionnelle. Contrat. Ils passent du rhythm and blues conventionnel au psychédélisme chaotique.
Barrett pulvérise tout ce qui lui tombe entre les mains. Robert Wyatt, le batteur de l'autre groupe d'avant-garde, Soft Machine, raconte que lorsqu'on demandait à Syd en quelle clé il jouait, il répondait : "ouais" ou encore : "oh, c'est marrant"! Il bouscule la musique froide des apprentis architectes et force sur les couleurs.
Pendant ce temps, David Gilmour fait le tour des plages françaises avec The Crew et à l'occasion Devin Ayers. Les tournées américaines et anglaises de l'automne, malgré les perspectives qu'elles ouvrent, sont difficiles, Barrett baigne de plus en plus dans l'acide. A ce sujet, l'histoire la plus répandue, serait qu'il vivait chez un couple, qui lui versait tous les matins de l'acide dans le café à son insu. Il aurait ainsi trippé pendant deux ou trois mois sans s'en rendre compte. Finalement, en janvier 1968, David Gilmour vient compléter le groupe. L'idée, expliquera-t-il quelques années plus tard, était de constituer un orchestre à géométrie variable où Barrett pourrait venir jouer quand il le voudrait et s'isoler à sa guise, un peu à la manière de Brian Wilson chez les Beach Boys.
David libéra ainsi un Syd toujours plus schizo de la corvée de la scène et du contact avec le public qui lui pèsent de plus en plus. Le 18 février 1968, David devient officiellement le guitariste du Pink Floyd. Le 6 avril, Barrett fait ses adieux et se retire chez maman à Cambridge pour reprendre la peinture. En janvier 1970, sortie du premier album solo de Syd, produit par David et Roger. Le 30 mars, David rejoint Syd qui, exeptionnellement, se produit sur la scène de l'Olympia de Londres. Six mois plus tard, parution du second album, produit avec beaucoup de patience par Gilmour et cette fois, Rick Wright qui, à l'époque, collabore beaucoup avec David.
"Il était d'un équilibre psychologique très précaire. Les causes de cette crise ? L'acide peut-être, le succès ? Personne ne le saura jamais exactement, je crois" (Nick Mason). Gilmour, courageusement, conclut : "Ce n'est pas romantique, c'est une triste histoire, maintenant c'est fini.". |
Roger
Keith dit Syd Barrett, George
Roger Waters, Nicolas
Berkeley Mason, Richard
William Wright,
David
Jon Gilmour, |
||
1968 - David Gilmour
Le 29 juin Pink Floyd donne un concert gratuit au coeur de Londres, dans Hyde Park. 5000 personnes découvrent un nouveau groupe noyé dans un light-show tout neuf et de nombreux effets spéciaux. Le même jour paraît A Saucerful Of Secrets, deuxième 30 cm du groupe. Avec lui, des millions d'auditeurs abordent une nouvelle musique. Dans des titres comme A Saucerful et surtout Set The Control For The Heart Of The Sun, Pink Floyd met en forme le rock cosmique qui va devenir sa spécialité. L'arrivée de Gilmour a sensiblement modifié l'équilibre orchestral. Le délire permanent fait place à un rêve plus ordonné ; grâce à ce guitariste net et toujours en place, les résonances, les glissendi, les arpèges descendants s'organisent enfin.
Leur percée est si fulgurante que sa production n'intéresse plus seulement les musiciens d'avant-garde, ni les étudiants. Les cinéastes ont compris le pouvoir de cette musique et les commandes de musiques de film affluent. L'une d'elle, More, pour le film du même nom de Barbet Schroeder, fournit la matière d'un nouvel album qui impose le groupe en France.
"Tout film qui se veut le reflet du réel, de l'actualité, a besoin d'une musique vivante, actuelle ; et cette musique, c'est la pop music. Pour nous, le fait d'écrire la musique d'un film représente quelque chose d'amusant. C'est un exercice fait pour nous. Et puis, comme ça, on réalise un disque en une semaine ! Ce disque n'est pas le résultat d'un grand travail, mais il montre aux gens ce que l'on sait faire... Pour le groupe, c'est, je crois, une discipline formatrice" (David Gilmour, 1972). Roger Waters, quant à lui ambitionnait d'écrire la musique de 2001 : L'Odyssée de l'espace. Mais cela n'a pas été possible et More est une expérience intéressante.
A l'automne paraît Ummagumma qui sera longtemps l'album préféré des fans du Pink Floyd et son véritable premier classique (voir discographie). Le recto de la pochette nous surprend par un étalage de matériel impressionnant déployé sur la piste d'un aérodrome de campagne. Le premier album en public, avec tous les titres favoris du groupe, de Astronomy Domine à A Saucerful Of Secrets, enregistrés au printemps, en deux soirs à Manchester et à Birmingham.
Le deuxième album expérimental, en studio avec une demi-face "libre" par musicien. C'est l'apothéose de la collaboration avec le producteur Norman Smith. Depuis See Emily Play et The Piper At The Gates Of Dawn, celui-ci aide Pink Floyd à passer ses paliers et à opérer ses différentes mues. The Grand Vizier's Garden Party de Nick Mason est le morceau le plus spectaculaire, le plus free de l'ensemble.
"La manière classique se mêle aux influences du jazz le plus avancé...", confie R. Wright.
"Nous étions à l'époque très individualistes. Les choses ont changé depuis" (Nick Mason, 1973). "Pour moi, Ummagumma était seulement une expérience. Je crois qu'il fut médiocrement enregistré, le disque studio aurait pu être mieux réalisé. Nous envisageons de le refaire" (David Gilmour, 1973). Après cette année 1969 décisive où Pink Floyd a beaucoup prouvé, le groupe est classé numéro un au référendum de Rock et Folk et devient la plus importante attraction rock qu'ait jamais connue la France. Ummagumma, un an après Electric Ladyland de Jimi Hendrix, est couronné Grand Prix de l'Académie Charles Cros. Ummagumma, disque historique pour une situation historique. Celle de la découverte d'une musique par tout un pays. Celui-ci contemple enfin son groupe préféré sur scène au Théâtre des Champs-Elysées, les 23 et 24 janvier 1970. Instants magiques quand les quatre anglais arrêtent leur grand cirque spatial pour la traditionnelle cérémonie du thé ! Ummagumma figure bientôt dans toutes les discothèques.
"Avec Antonioni, ce fut un travail dur, très difficile. En fait, c'est lui qui nous a expliqué ce que nous devions écrire. Ce fut très long, car lorsque ce que nous écrivions ne lui convenait pas, il nous fallait recommencer. Antonioni est un monsieur bizarre qui a une démarche de création difficile à saisir" (David Gilmour, 1972).
Plus tard, Gilmour contribuera grandement à la mise au point d'une composition collective lumineuse, Echoes, qui sera le cheval de bataille de Pink Floyd pendant plusieurs années. Le morceau dans la droite ligne planante et agrémenté d'effets sonores impressionnants, occupe une face de Meddle, album à l'accouchement difficile qui sera froidement reçu par la critique rock qui lui reproche ses accents techno-atmosphériques. Lors de sa sortie publique, le 5 novembre 1971, on y découvre un hommage à Saint-Tropez en souvenir de vacances passées en 1970.
En novembre 1972, le groupe joue pendant une semaine à Marseille, salle Valliers, pour accompagner les ballets de Roland Petit. Il remet ça au Palais des Sports de Paris début 1973 pour un ballet à la gloire du poète russe Maïakovski.
Pendant tout l'été 1972 est annoncée la sortie d'un nouvel album dont le titre devait être Eclipse. Il paraîtra finalement en mars 1973 sous le titre Dark Side Of The Moon. La Face cachée de la Lune va être le premier numéro un américain du groupe, avant de faire voyager la planète Terre et toutes les nations psychédéliques. "Dark Side Of The Moon a été joué en tournée pendant dix-huit mois, avant d'être enregistré. Aussi n'est-il pas étonnant qu'ils aient su précisément ce à quoi réagissait le public quand ils sont finalement entrés en studio" (Alan Parson). "Habituellement, nous rentrons en studio sans idées concrètes et nous laissons les circonstances nous dicter la musique" (David Gilmour).
"Il a fallu digérer ce succès, ne pas se noyer dans des attitudes superficielles, dangereuses, se reconstituer en tant que groupe et repartir sur de nouvelles données. Nous avions eu ce que nous voulions, à nous d'en tirer les meilleures conséquences. 1974 a été une année de conflits, entre nous et aussi sur le plan personnel, retombées de Dark Side Of The Moon. Notre chance a été de savoir réfléchir à temps, de ne pas sombrer et de changer de cap. C'est la raison du pénible accouchement de Wish You Were Here" (David Gilmour).
En janvier 1977, sortie de Animals où l'influence d'Orwell vient nourrir un propos pessimiste un peu vague. Finie la musique d'ambiance pour jeunes cadres dynamiques et babas recyclés. Les signes de désenchantement et de paranoïa déjà perceptibles dans Wish You Were Here se multiplient. Waters, responsable de tous les textes, secoue le cocotier des cartes postales de vacances. Selon lui, l'humanité est composée de chiens, de cochons et de moutons. Les chiens, énergiques et éternels angoissés, recherchent la sécurité à tout prix dans une course effrénée au pouvoir et au fric. Les cochons ("pigs" : flic en argot anglais) répriment systématiquement aussi bien les autres qu'eux-mêmes. Enfin, les moutons, capables d'idéalisme et de bons sentiments, acceptent tout avec résignation. Waters, qui s'estime à la fois chien et mouton, s'est inspiré pour cette peinture un peu simpliste de l'un des plus célèbres livres de George Orwell, Animal Farm.
En Amérique du Nord, le groupe bat un premier record de l'histoire de la rock music. 81.377 spectateurs à Cleveland, money, rock'n'roll circus, apothéose d'une des grandes entreprises du rock. Waters, qui tient les rênes comme jamais, a sur scène la révélation de sa vie. Le public, pourtant anglophone, se fout apparemment de ce qu'il raconte. De dépit, il en crache sur le premier rang. Sa frustration est bientôt nourrie par d'autres événements qui vont littéralement verser de l'acide sur la plaie. En 1978, Gilmour et Wright sortent chacun leur album solo. On ne parle plus que du disque du "soliste de Pink Floyd" et de celui du "clavier de Pink Floyd". Il réalise qu'aux Etats-Unis, Pink Floyd, c'est Rick Wright dont le disque aux couleurs européennes a beaucoup plu. Qu'en Europe, c'est Gilmour et Mason et qu'en Angleterre, c'est encore un peu Syd Barrett. Mais alors lui dans tout ça... ?
Réunion du groupe, Roger sort deux cassettes de maquettes au piano, l'une de The Wall et l'autre de son premier album solo. Les trois autres ont compris et cèdent à toutes ses exigences. The Wall est une oeuvre colossale, l'apothéose musicale et orchestrale de la formation. Son auteur y stigmatise l'incommunicabilité entre les êtres et surtout la sienne, si loin qu'il est de son public et de son groupe. C'est le 5 août 1980, treize ans après la parution de son premier album The Piper, que Pink Floyd donne, dans le hangar des Expos de Londres, l'Earl's Court, la version scénique de The Wall. Coût : entre cinq et neuf millions de francs. (voir The Wall - Le film et The Wall - l'album). A la fin de The Wall, un enfant de Beyrouth ou de Dublin ramasse dans la rue des bouteilles de lait éparpillées, comme après une émeute. Il découvre un cocktail Molotov et en verse le contenu avec une grimace de dégoût. Final non désespéré, puisque "derrière Le Mur t'attendent ceux qui t'aiment...".
Séparé officieusement depuis 1983, le groupe fut officiellement dissous à la demande de Roger Waters par décision de la Haute Cour de Justice de Londres. Mais les deux autres membres fondateurs et David Gilmour, présent quand même depuis janvier 1968, contre-attaquent et, en 1987, gagnent en appel. Ils pourront bien utiliser le label Pink Floyd à condition de reverser à Waters 40 % de leurs gains...
Il ajoute : "Je n'aurais pas eu une seconde l'idée de nommer Pink Floyd un groupe sans Dave, Nick et moi..."
Et si du coup tout recommençait ? Et si Waters n'avait seulement fait qu'endosser au passage les habits de folie légués par Syd Barrett pour laisser à son tour le champ libre au trio Gilmour/Wright/Mason ? Et si l'aventure du Pink Floyd n'était qu'une éternelle histoire de psychédélisme triomphant et destructeur ? |
|||
|
|