The Wall - Le film


Le 5 août 1980, treize ans après la parution de son premier album The Piper, Pink Floyd donne dans le hangar des Expos de Londres, l'Earl's Court, la version scénique de The Wall. Coût : entre cinq et neuf millions de francs.

Un groupe doublure ouvre le show. Crash spectaculaire d'un pilote de la RAF, un autre groupe se dévoile peu à peu sur les hauteurs d'une scène transformée en "Temple de la Schizophrénie". La voix sarcastique de Waters retentit : "So ya thought ya might like go to the show..." (alors comme ça, on a décidé d'aller au spectacle) ! Son immaculé, bruits de foule, d'oiseaux, d'avions, effets électroniques de tous calibres. Construction en direct du Mur par des Mason. Entracte.

Seconde partie, Waters, seul en blouse blanche, au pied du Mur. Tout en haut, Gilmour dans une lumière bleue, fait hurler sa guitare. Finalement, les deux groupes se retrouvent, le faux figé, le vrai en mouvement ; un gros cochon gonflable apparaît, mais il n'est plus rose comme à l'époque d'Animals, mais d'un beau noir profond. On ne rit franchement pas, mais finalement, le Mur de la réclusion, de l'oppression, de tous les protectionnismes, de toutes les frilosités, tombe.

Ce show, l'un des plus colossaux de l'histoire du rock avec ceux de Bowie et de E.W.F., ne pourra -vu ses dimensions- s'exporter ailleurs qu'à Los Angeles. D'où la nécessité d'un film qui développerait l'argument de l'auteur. Notre société : ce "monde perdu" tyrannise ses enfants, les brutalise ; c'est sa violence qui engendre l'aliénation individuelle qui, à son tour, cherche la compensation dans le pouvoir, voire les totalitarismes. Ce film est confié à Alan Parker qui le présente à Cannes en 1982. Waters s'est fâché avec Parker et se couche au moment de la projection de presse. "The Wall m'est resté en travers de la gorge..." Vit-il précisément avec son metteur en scène ce que vit son héros, Pink, avec son manager (1) : paranoïa, délire de la persécution, impuissance ?

C'est Bob Geldof, l'ancien journaliste et chanteur des Boomtown Rats, le futur organisateur de la vague de charité-rock de 1985 qui tient le rôle de Pink. Au début, il ne veut pas accepter. C'est non : "La discussion est close." We don't need no education... "Bon sang, c'est bien une idée de chanteurs millionnaires en pleine crise de conscience. C'est du gauchisme de salon" (extrait de l'autobiographie de Geldof, Alors, c'est tout.)

"Dieu sait que je ne suis pas fan de ce groupe. Ca m'intéressait de le faire, surtout pour l'histoire et ce qui est dit. Je n'avais pas voulu voir les rushes, je voulais tout découvrir à la projection et, bon, le film est géant, n'est-ce pas... ? Pour le Floyd, je crois que ça éclaire un aspect de leur musique que personne n'avait saisi sur disque, en tout cas pas les gens comme moi. Je crois que ça va leur donner une crédibilité qu'ils avaient perdue depuis longtemps" (Bob Geldof).

"C'est l'histoire de Roger, tu sais, moi, j'ai juste fait la musique avec lui. Le reste, c'est son problème. Sa vision du monde..." (David Gilmour).

Une chambre d'hôtel, une tranchée, un terrain de rugby, des oiseaux qui chantent, un Mickey, la porte de la chambre qui ne veut pas s'ouvrir et qui finalement cède pour nous laisser pénétrer dans une salle de concert. Les premiers plans du film se succèdent à un rythme échevelé. Le père meurt, la mère dort dans son jardin au soleil !

The Wall est l'explosion de haine de Roger Waters. Tout lui est devenu insupportable ; c'est la fin de l'innocence, la révélation de la schizophrénie, le détail de toute une vie de traumatismes, d'abord celui de la guerre, puis ceux de l'éducation avec la célèbre scène des enfants que l'éducation saucissonne, de la scène-rock devenue un Nuremberg pour kids, d'une Société qui pousse au vide de l'esprit pour mieux nous manipuler. Enfin du mariage, scènes terribles en animation de ces femmes-mantes religieuses qui sucent les cerveaux des hommes.

"Une explosion de haine... Oui, mais pas de haine de désespoir, tu vois. Parce que ce qu'il y a de très fort dans ce scénario, c'est la façon qu'a Waters de dépasser ses propres problèmes pour en faire une gigantesque allégorie... Pas sur la vie, mais sur la mort, avec la vie comme moteur de la mort. Tu as vu la fin : même si il y a cette pourriture, il y a le futur qui est ces trois gosses... Aaaah ! Je ne suis pas baba, ça se sait, mais il y a des choses fondamentales comme l'amour, la justice, la paix... On ne peut pas l'oublier sous prétexte que ce n'est pas bon pour l'image..." (Bob Geldof à Rock et Folk).

Ainsi Roger Waters avec The Wall touche le fond, comme dans la scène des toilettes où, sur Stop, Pink, écroulé, ivre de cognac Rémy Martin, lit de la poésie en se rafraîchissant le visage avec l'eau des latrines... I wanna go home, take off this uniform... (Je veux rentrer à la maison, quitter cet uniforme...). Le Mur, c'est la construction de sa folie. C'est le Tommy des Who réactualisé. Que lui reste-t-il ? A être contrôlé comme la majorité de ses collègues et de ses contemporains. Ou à devenir fou et à décrocher comme un certain Barrett. Ou enfin à tout casser. Lui casse tout, y compris son groupe. Il fait douloureusement exploser le Mur et trouve, derrière, la sortie et le salut. Exactement comme dans cet article sur la psychologie moderne paru dans le New Scientist et qui, en 1979, avait justement inspiré à Bob Geldof le titre de l'album des Boomtown Rats, The Fine Art Of Surfacing. Délicate remontée à la surface d'un garçon qui avait pourtant eu longtemps l'impression de couler lentement. Résurrection.


Confidences et citations :

"C'est un très, très bon album, je trouve. La contribution de Dave est très importante. Pas seulement son jeu de guitare, mais deux ou trois très bonnes chansons qu'il a écrites." Roger Waters.

"Je vous recommande de ne pas jeter de pétards, il y aura assez d'explosions dans vos têtes ce soir. Je vous rappelle qu'il est interdit de prendre des photos..." Le présentateur du show The Wall à l'Earl's Court de Londre, août 80.

"Il fallait rendre une impression de violence permanente, et pour ça nous avons mis très en avant un groupe de skinheads, les Tilbury Skins. Ils devaient jouer les gardes de Pink et on voulait utiliser cette bande d'aimables timbrés, comme le modèle de la violence qu'il nous fallait subir. Mais les types étaient tellement vrais que le responsable des cascades a dû travailler un mois entier avec eux pour leur apprendre comment cogner quelqu'un sans avoir besoin de lui casser la mâchoire... Finalement, on est arrivé à discipliner leur attitude générale, enfin, en quelque sorte." Alan Parker, metteur en scène du film The Wall.

"La dernière image du film, si tant est qu'elle ait une signification, suggère qu'à notre naissance, nous n'aimons pas les cocktails Molotov, mais que nous apprenons à les aimer en grandissant. Nous apprenons à vouloir brûler et casser. Tu sais les enfants n'aiment ni l'odeur du pétrole, ni le goût du Whisky. Ce sont là des goûts que l'on acquiert... Ils n'aiment pas tuer.

"La mère n'était pas très ressemblante. Mes relations avec ma mère n'étaient pas celles-là. En fait, je trouve que la mère est un des personnages ratés du film. Elle est vraiment trop pleine de contradictions. Je pense que la raison en est que je ne me suis pas directement inspiré de ma propre expérience. C'est vrai que j'ai trouvé un rat moribond sur un terrain de rugby et que je l'ai rapporté à la maison pour m'en occuper, c'est vrai aussi que ma mère m'a obligé à le mettre dans le garage, mais pas de cette façon. Ce n'était pas une grosse folle hystérique. Je pense que c'est un cliché très cru. Un cliché...

"Ce qui arrive aux enfants du film, au personnage principal en tout cas, c'est que son père est tué. Et, à l'évidence, cela arrive à un sacré nombre d'enfants à travers le monde, apparemment de plus en plus. Le rythme auquel se déroule le carnage mondial, après le petit répit qui a suivi la guerre du Vietnam, semble s'accélérer. Je ne sais pas, peut-être que c'est moi qui y suis plus sensible aujourd'hui, mais il me semble que de nos jours, on fabrique beaucoup d'orphelins de guerre. Il y a un sentiment qui ne me quitte jamais, qui est toujours là derrière ma tête ou dans ma poitrine et qui doit avoir un rapport avec quelque chose qui m'est arrivé dans mon enfance et sur quoi je n'arrive pas à mettre le doigt, et ce sentiment est celui de l'impuissance. Impuissance que je peux imaginer dans les poitrines des victimes de la violence aveugle -que ce soit celle des gens qui vous enlèvent dans les rues de Buenos Aires, des Phalangistes chrétiens du Liban qui vous collent contre les murs et tuent vos enfants, des Nazis durant la dernière guerre mondiale ou des Russes en Afghanistan. D'une manière générale, nous avons la chance en Angleterre de pouvoir recourir à la loi et d'être largement protégés par elle." Roger Waters.

"The Wall est l'explosion de haine de Roger Waters."

"C'est la fin de l'innocence, la révélation de la schizophrénie, le détail de toute une vie de traumatismes."

Extraits Midi :

Another Brick in the Wall

Nobody Home

Is There Anybody
Out There ?