Hommes et rats ont toujours été ennemis.
Jusqu'à présent l'homme avait toujours eu le dessus, mais cette fois...


Ils avaient appris à vivre dans l'ombre, furtivement, à sortir surtout la nuit et à craindre les hommes. Et soudain ils commencèrent à réaliser leur force et à prendre goût à la chair humaine.

A leurs dents tranchantes comme des rasoirs, à leur nombre venait s'ajouter une arme supplémentaire : l'horreur et le dégoût qu'inspirait leur multitude grouillante.

Bientôt on découvrit les restes ensanglantés des premières victimes...

PROLOGUE

La vieille maison était inhabitée depuis plus d'un an. Solitaire et grise, elle se dressait au bord d'un canal désaffecté, à l'écart de la route dont la séparait une végétation retournée à l'état sauvage. Nul ne s'aventurait jamais dans les parages, elle ne suscitait plus guère d'intérêt. Les gamins du voisinage avaient bien entrepris de casser quelques carreaux, mais eux-mêmes avaient fini par se lasser du silence qui, seul, faisait écho au fracas du verre brisée. Quant aux autres, leur ultime manifestation d'intérêt remontait au jour où l'on avait emmené la vieille femme.

On savait qu'elle vivait seule depuis la mort de son mari, qu'elle ne sortait jamais et qu'il était rare de l'apercevoir jeter un regard à travers des rideaux de dentelle. Elle n'écartait jamais les rideaux, se contentant de regarder au travers, et pour peu que quelqu'un eût songé à lever les yeux, il n'aurait aperçu qu'une silhouette vage et spectrale. Livrée une fois la semaine, ses provisions étaient déposées devant la porte de service. Aux dires de l'épicier du quartier, la banque de la vieille réglait chaque trimestre ses achats, sans jamais vérifier la conformité de ses livraisons -ce qui faisait bien son affaire-. On lui avait tout d'abord remis une liste des produits qu'il aurait désormais à livrer régulièrement, mais qu'il oubliât une livre de beurre ou un kilo de sucre par-ci par-là, personne ne s'en apercevait, personne ne se plaignait.

Cela ne l'empêchait pas d'être curieux. Il avait eu affaire à elle, à l'occasion du vivant de son mari, même alors, elle n'avait pas grand-chose à dire. Ils formaient une curieuse pare, ces deux-là. Il ne sortaient jamais, ne recevaient jamais. Et ce n'était pas faute d'avoir des moyens vu qu'après un long séjour à l'étranger, le mari n'avait jamais eu l'air de travailler depuis leur retour. Puis le vieux était mort, l'épicier ne savait pas au juste de quoi, les suites d'une maladie tropicale, en tout cas, qu'il avait attrapée là-bas. Personne n'avait jamais revu la vieille depuis lors. Un jour, l'épicier l'avait entendu crier, mais il ne sut jamais à qui elle en avait.

Les gens s'étaient mis à se poser des questions. Telle nuit, c'étaient des gémissements qu'on avait cru entendre s'échapper de la maison ; telle autre, des rires et, pour finir, le silence total pendant plus d'un mois.

Ce fut seulement quand l'épicier eut retrouvé intacte, sur le pas de la porte, sa livraison de la semaine précédente, qu'il se résolut, à contrecoeur, à prévenir la police. A contrecoeur, parce qu'il craignait le pire et se désolait de voir lui échapper une bonne petite commande régulière.

En définitive, elle n'était pas morte. Un agent était venu enquêter et puis une ambulance s'était amenée qui l'avait embarquée. Elle n'était pas morte, seulement folle. Pour ce que ça changeait pour l'épicier, elle aurait aussi bien pu mourir : finie la petite combine peinarde. C'était trop beau...

Ainsi la maison était-elle vide. Personne n'y entrait, personne n'en sortait, personne ne s'en souciait. En un an, elle était devenue pratiquement invisible depuis la route. Les broussailles étaient hautes, les buissons épais, et les arbres masquaient l'étage supérieur. Les gens perdirent peu à peu conscience de son existence.