Qu'y a-t-il de l'autre côté d'un miroir ? Impossible à savoir ?


Erreur ! Il suffit pour cela de trouver "le miroir de Satan". Une porte qui ne demande qu'à s'ouvrir pour vous accueillir.

Mais attention, le monde est bien différent de l'autre côté. Bien que semblable en apparence, il contient en fait, tout le côté négatif de notre réalité. Toute beauté devient laideur. Toute bonté devient malveillance.

Et surtout, surtout ne pas oublier que le passage doit obligatoirement s'ouvrir dans les deux sens. Que peut-il bien libérer sinon une créature maléfique. Un être diabolique animé d'un projet terrifiant et bien décidé à ne jamais vous laisser reprendre votre place.

D'ailleurs quel place vous restera-t-il si par malheur ses plans fonctionnent ?

Pour votre bien-être, ne dormez jamais près d'un miroir.

"Lorsqu'ils avaient essayé de soulever le miroir, une onde puissante et sombre avait traversé leur esprit, noire et inhumaine mais incontestablement vivante, comme les pattes d'une scolopendre, ou les cils de quelque créature marine sans âme, froide, pressurisée, une intelligence dépourvue d'émotions et de pitié, ne montrant aucun intérêt pour quoi que ce fût, sinon pour sa propre suprématie et sa propre survie."

Après le blanc du Portrait du mal, retour au noir, le noir des ténèbres, des forces du mal, du chaos ultime. Plus noir que vous ne pensez...

Cette fois, Masterton revient à ses premières amours, à savoir le Diable, Satan en chair et en os, la Bête de l'Apocalypse ! Reprenant les thèmes, obsessions et images-choc de ses précédents romans, il les traite suivant une nouvelle optique, avec une force accrue et une maestria incomparable. Depuis Le Portrait du mal, l'oeuvre-phare, plus rien n'est pareil, le ton est autre, plus ambitieux, plus grave et exemplaire.

Après le Massachusetts du Démon des morts et le Connecticut des Puits de l'enfer et du Portrait du mal, voici Los Angeles, Hollywood, la Californie, nouveau "lieu géométrique de toutes les terreurs", et ce neuvième Masterton chez NéO nous convie à une traversée du miroir effective, en toute logique !

A l'occasion de son seizième roman fantastique (écrit en 1987 et publié en avril 88 aux Etats-Unis) Masterton nous entraîne, comme à son habitude, dans une histoire vertigineuse, aux idées délirantes et au suspense parfaitement construit, et se livre à une brillante démonstration sur le thème du miroir, symbole contenu en filigrane dans nombre de ses romans. "Votre visage vieillit à force d'être regardé, à force d'être photographié", déclarait Maurice Gray au début du Portrait du mal. De la même façon un miroir prend une parcelle de votre âme, capture votre âme, chaque fois que vous vous regardez dedans. Toujours le regard, qui permet cette évasion ou cette invasion des forces du mal. Rappelons au passage la thématique de Cocteau dans son film Orphée, le miroir étant le symbole de la mort, qui ajoutait ironiquement : "Les miroirs devraient réfléchir davantage." Et ce regard est d'autant plus amplifié par l'oeil de la caméra... or, l'histoire se passe à Hollywood ! Les démons sont tout à la fois intérieurs et extérieurs, et le miroir est la porte idéale, permettant cet échange.

Pour appuyer sa démonstration, Masterton opère un rapprochement aussi inattendu qu'original entre la Bible -les prophéties de l'Apocalypse- et l'oeuvre de Lewis Carroll. Comme Robert Bloch l'avait fait pour Lovecraft dans Retour à Arkham, l'oeuvre de Lewis Carroll est présentée comme un avertissement déguisé : il existe bien un autre monde, terrifiant, "de l'autre côté du miroir". Et cet arrière-plan historique et littéraire rejoint la superbe évocation de l'époque victorienne et des préraphaélites dans Le Portrait du mal. Lewis Carroll a inspiré bien des auteurs fantastiques ou non et nous citerons seulement La Nuit du Jabberwock de Fredric Brown et la nouvelle de Lewis Padgett, Tout smouales étaient les Borogoves. Mais Masterton se livre à une exégèse particulièrement brillante et convaincante ! Quant à la Bible, le "dragon rouge" est sur le point de renaître...

Alice, Satan et Hollywood... un tiercé diabolique ! Par le biais du métier de Martin Williams, scénariste pour la télévision et le cinéma, Masterton fait un portrait au vitriol d'Hollywood et de sa faune -les séries télévisées insipides, Morris Nathan et ses phrases truffées de mots en yiddish- et les citations de films sont nombreuses -L'Exorciste, La Malédiction, Poltergeist, Amytiville, Psychose. Mais tout se passe comme si Masterton "phagocytait" ces films pour les digérer et les intégrer à son roman, les revisitant et leur donnant une nouvelle réalité, achevant d'égarer le lecteur dans ce constant passage du réel à l'imaginaire, et vice-versa. Et le reflet devient la réalité...

Cette charge féroce donne lieu à un humour, souvent très noir et morbide, parfois au second degré, qui met le lecteur "en décalage", l'exposant d'autant à l'horreur qui survient un instant plus tard et le frappe de plein fouet. Cet humour est tout particulièrement sensible dans les dialogues -Ramone, M. Capelli- confinant parfois à l'absurde et au non-sens cher à Lewis Carroll. Et tout naturellement, les morts violentes et horribles abondent dans ce livre -par le feu, le rasoir, les mutilations- autant de séquences-choc révélatrices des obsessions de Masterton, depuis Le Faiseur d'épouvantes jusqu'au Portrait du mal.

Le lecteur retrouvera avec plaisir le goût maniaque de Masterton pour le détail -la façon dont sont habillés les personnages, la topographie de Los Angeles, signalons que la Nature est totalement absente de ce roman, strictement urbain- et ses remarques savoureuses, très british, sur la vie américaine de tous les jours. Soulignons sa fascination pour l'anatomie féminine -avec le personnage d'Alison- et ses lieux de prédilection, les hôpitaux, l'appartement de Martin, et les apparitions de Boofuls, aussi terrifiantes que les apparitions successives de la femme de John Trenton dans Le Démon des morts. Mais cette fois, l'enfant est diabolique...

Masterton poursuivit inlassablement son voyage au pays de l'horreur et du fantastique, avec ses thèmes favoris : la Mort, l'immortalité, le monde occulte, le spiritisme, la vie après la mort, le Diable... et le miroir.

Après le Portrait du mal, voici un nouveau sommet de l'horreur, à lire de toute urgence !

A présent, méfiez-vous des miroirs, car voici Boofuls, le petit garçon au sourire angélique, mais l'envoyé de Satan !"

François Truchaud
Ville-d'Avray
24 mars 1988.

"Ce ne sont pas tant les miroirs qui devraient réfléchir davantage, que ceux qui s'aventurent de l'autre côté..."