John LENNON / 1940-1980

La vie de John Lennon s'est terminée le 8 décembre 1980 comme une tragédie banale : tragédie, puisqu'il a été abattu par Mark D. Chapman, un fan qui supportait mal de se voir refuser un autographe ; banale, puisque Lennon finit comme mythiquement finissent toutes les stars, dévoré par un public auquel sa définition même l'offre en holocauste.

On a montré depuis longtemps l'ambivalence de la passion des foules pour leur(s) idole(s), de l'amour-délire qui se confond avec le désir fou de posséder en anéantissant. Le mythe Lennon, commencé avec les Beatles, poursuivi auprès de Yoko Ono, prend définitivement ses assises dans cet assassinat.

John Winston Lennon, né le 9 octobre 1940 à Liverpool, y a connu une enfance difficile, négligé par sa mère, abandonné par son père. Orphelinat, prise en charge par une tante ; scènes pénibles où John doit choisir entre cette tante adoptive et sa mère, soudain réapparue, qu'il suit finalement. L'adolescent se fait teddy-boy, écoute le rock de Bill Haley, Buddy Holly, Elvis Presley. Il joue de la guitare, compose, fonde les Quarrymen.

La rencontre de Paul McCartney en 1957 ouvre l'ère d'une collaboration musicale dont les effets sur les développements de la pop music vont être décisifs. Puis c'est le tout de George Harrison de s'intégrer au groupe, qui change de noms : Rainbows, Moondogs, Silver Beatles... puis Beatles à partir de décembre 1960, trouvant ainsi le jeu de mots qui fera une part de sa célébrité (beatle signifie "scarabée", mais beat désigne une "pulsation"). Lors d'un concert à Hambourg est engagé le quatrième Beatle historique, le batteur Ringo Starr. Partie du Cavern Club de Liverpool, la "beatlemania" gagne toute l'Angleterre dès le début de 1961. Un nouveau manager, Brian Epstein, saura imposer l'image du groupe au monde entier.

Premier enregistrement : Love me do/PS I love you : succès convenable. 1963, et c'est la consécration : tournée en Angleterre, centaines de milliers de disques vendus, au sommet du hit-parade (Please me, She loves you, etc.), quinze millions de téléspectateurs pour le show du London Palladium. Raz de marée sans précédent, culte, fans clubs, posters... bientôt participation à des films (Help de Richard Lester en 1965 ; Yellow Submarine, dessin animé, en 1966, etc.).

Les Beatles aux cheveux longs -du moins le paraissaient-ils à l'époque- prennent rang de figures symboliques pour des adolescents mensuellement humiliés par la coupe bien dégagée derrière l'oreille ; se coiffer "à la Beatle" engage l'un des conflits les plus dérisoires mais aussi les plus sérieux des années 1960.

Le look et le sound des Beatles sont très vite au point : rock rythmé, mais toujours mélodieux et qui n'abuse pas de l'effet dirty des guitares électriques (dans la lignée de Buddy Holly par exemple). La musique est servie par la voix métallique, nasale, fragile de John Lennon, et dans une moindre mesure par celle, plus douce, de Paul McCartney.

1970 sera l'année de la séparation définitive des Beatles. Lassitude de gens qui depuis trop longtemps travaillent ensemble et préfèrent rompre plutôt que de poursuivre la vie d'un vieux ménage aigri ? Ou plutôt considération d'intérêts colossaux mais antagonistes ? Lennon affirmera plus tard qu'il se sentait mal à l'aise dans le groupe depuis longtemps. Surtout, il a rencontré en 1967 Yoko Ono, une artiste japonaise qui aura sur lui une influence déterminante. Elle l'engage à être Lennon et non Beatle, à se tourner vers des voies plus spirituelles et d'avant-garde. Lennon rompt avec ses trois compagnons : George donne dans le mysticisme, Ringo fait des affaires et Paul prendra un second départ avec les Wings. Lennon avouera que toutes les rumeurs sur une éventuelle reconstitution du groupe l'ont toujours fait sourire.

Installé à New York, marié à Yoko, Lennon commence une nouvelle carrière ; sa vie de couple est mouvementée parfois, la taille des cheveux évolue et la panoplie de lunettes s'enrichit au fil des révélations et des prises de position successives : avec Harrison, il s'était initié à la méditation transcendantale ; il avait goûté à l'acide ; il louche à présent vers le trotskisme, la non-violence, l'innocence adamique... De nombreuses photos -toutes posées et lourdement chargées de messages politiques ou philosophiques- témoignent de ces voies nouvelles, que Lennon méprisera bientôt en y reconnaissant les formes d'une agitation entretenue afin de faire taire sa mauvaise conscience de riche. La production musicale de ces années est diverse : Imagine (1971) poursuit le climat beatles, mais sonne déjà comme un souvenir ; avec Rock'n roll, Lennon se passe le plaisir de rendre hommage aux rockers des fifties. Les disques enregistrés avec Yoko, centrés autour d'expériences musicales, convaincront peu et lui vaudront bien des critiques (Sometimes in New York City, 1972, etc.).

Nouvelle rupture vers 1975. Dans les combats de l'époque, qui tout doucement s'étiolent, Lennon a aussi épousé la lutte des femmes pour leur émancipation ; pour se retrouver lui-même dans la confusion de ses images, il choisit une forme élaborée de dépouillement -auquel il a toujours aspiré d'ailleurs-, laisse à Yoko (qui s'y entend) le soin d'évaluer et de gérer une fortune colossale, et se fait househusband pour élever leur fils Sean. Toute la famille boit du thé et mange macrobiotique, abritée dans le Dakota, cet immeuble gothique de New York où s'éteignent les anciennes stars. C'est cet appartement qu'il regagnait avec son épouse lorsqu'il fut abattu. Son dernier album, Double Fantasy (sept chansons de Yoko, sept de lui-même, dans un partage qu'il voulait symbolique), venait de sortir, et il entendait marquer sa rentrée -après un silence de cinq ans- par la reprise des tournées.

La presse écrite et parlée a trouvé dans cette mort matière à pages, numéros, émissions spéciaux, dont plusieurs sur le thème de "l'adieu aux années soixante". Les années 1960 ne sont pas mortes dans le hall d'un immeuble chic de New York le 8 décembre 1980, mais dix ans auparavant ; l'écrasement des forces révolutionnaires dans le monde, la redistribution brutale des capitalismes ou encore la rentrée des contestataires dans le rang ont tracé sur ces années des croix plus grossières que la mort d'un Beatle qui d'ailleurs ne l'était plus depuis dix ans. Cette mort, bien au contraire, a remué les cendres froides d'un incendie ancien.

John Lennon fut assurément un des auteurs-compositeurs majeurs de la musique populaire de son époque. Lennon s'est fait toutes les têtes de la révolution propre : gentillesse amusée, puis bohème et non-violence, luxe et ascétisme enfin. Voyou, anarchiste, casseur : jamais. Il garde de la sorte un public.

Les Beatles, mai 1966, Chiswick House, London