Jeanne d'Arc de Luc Besson

En deux heures et trente-cinq minutes, Jeanne d'Arc voit sa mère se faire violer, entend des voix, gambade dans les coquelicots, trouve une épée dans un champ, entend des voix, s'élance à la cour du roi, libère son pays des anglais, qui ont les dents pourries, et plonge en prison où elle entend des voix. Enfin, elle est brûlée. Plus tard, on lui fera des statues.

Le film possède une énergie que seul Luc Besson pouvait insuffler, mais cette Jeanne là est soit hystérique, soit une authentique sainte, on ne sait pas.

Après plus de cinquante films qui lui ont été consacrés (mémorables, comme ceux de Dreyer ou de Rivette), Jeanne d'Arc retrouve la place qu'elle avait dans les anciens livres d'images : coupe au bol, armure brillante, bannière fleurdelisée à la main. C'est sans doute le plus atypique des films de Besson.

Révélé avec "le Dernier Combat", Besson n'a jamais fait mystère de sa volonté d'imposer un cinéma populaire de qualité, retrouvant l'efficacité de la bande dessinée tout en agitant de grandes idées sous-jacentes.

De "Subway" à "Nikita" en passant par "le Grand Bleu", il a tour à tour filmé la jungle urbaine, la transformation d'une femme en machine tueuse ou le silence des mers. En phase avec les aspirations d'une génération, "le Grand Bleu" a marqué le territoire du cinéaste : l'aventure moderne, c'est une dissolution new age dans un infini insaisissable par le langage (déjà, dans "le Dernier Combat", personne ne parlait). Luc Besson s'est ainsi imposé, avec des images chocs, des scénarios simples, des films qui plaisent.

Avec "Jeanne d'Arc", il change de registre : pour la première fois, il s'attaque à un personnage historique, qui plus est à une icône de l'histoire sainte.

Dans la première partie, Jeanne est montrée comme une fanatique dont le charisme suffit à soulever les armées. Bataille après bataille, elle prend des châteaux, portée par une foi folle. Dans la deuxième partie, celle qu'on connaît mieux, elle est jugée au cours d'un procès truqué : là, on la voit converser avec un confesseur fantôme qui, à la fin, lui donne l'absolution. Apaisée, elle rejoint l'Eglise, la vraie, celle du coeur, avant de mourir. De ces deux parties se dégage une impression d'inachèvement : au fond, qui était-elle, pour Besson et son scénariste, Andrew Birkin ? Hormis le traumatisme initial du viol maternel, qu'est-ce qui la fait évoluer ?

Entièrement tourné en anglais, le film souffre d'un casting étrange : John Malkovich en roi de France, Pascal Greggory et Vincent Cassel en seigneurs de la guerre et, surtout, Dustin Hoffman en confesseur fantôme n'ont guère plus de profondeur que des silhouettes animées. En revanche, "Jeanne d'Arc" doit son existence à la présence d'une actrice lumineuse, Milla Jovovich. Androgyne, frêle, fiévreuse, elle porte le destin de la France et le film. Elle traverse batailles et prisons avec la grâce d'un elfe et la force d'un roc. Jeanne la Pucelle, c'est elle incontestablement. Curieux film, en vérité : plaira-t-il aux fans de Besson, à la génération du "Grand Bleu" (qui a quand même vieilli) ? Huitième film du cinéaste, qui a juré de n'en faire que dix, "Jeanne d'Arc" est aussi, sans aucun doute, son plus grand défi.

Martine Noratz - "Le Nouveau Cinéma"

Epopée française.

Avec
Milla Jovovich, John Malkovich, Pascal Greggory, Dustin Hoffman, Tcheky Karyo.

2h35. Sortie 27 octobre.