Les rats attendaient leur heure.
Ils n'eurent pas à attendre très longtemps...


L'apocalypse nucléaire. Londres rasée, anéantie. Ses habitants carbonisés, irradiés, ensevelis sous les décombres.

Mais, pour une poignée d'entre eux, réfugiés dans les abris ou les couloirs du métro, la survie est peut-être encore possible.

Ils ne se doutent pas que le pire est à venir.

Car, sous la surface de la ville, les rats les épient. Les rats qui ont compris que l'Homme, affaibli, sans défense, est désormais leur proie.

PROLOGUE

Elles détalèrent dans l'obscurité, créatures de l'ombre, hôtes permanents des ténèbres.

Elles avaient appris à se tenir immobiles, à s'intégrer à l'obscurité quand les énormes monstres vrombissaient au-dessus d'elles dans un fracas de tonnerre qui résonnait dans les tunnels, assaillant le refuge noir -sanctuaire froid et humide qui était le leur- de lumières étincelantes et les écrasant de leur poids effroyable. Elles se recroquevillaient quand le sol vibrait et que les murs tremblaient, puis attendaient que l'assaut fulgurant fût passé, sans éprouver de peur mais plutôt une méfiance à l'égard de cet envahisseur qui tuait les étourdis.

Elles avaient appris à se tapir dans leur univers souterrain pour n'en sortir que lorsque l'obscurité sécurisante qui leur était familière se confondait avec la nuit au-dehors. Car elles conservaient la mémoire atavique d'un ennemi dont le seul but était de les détruire. Un ennemi qui existait dans les hautes sphères envahies d'une lumière aveuglante, un lieu dont l'exploration ne pouvait se faire en toute sécurité que l'orsque l'intensité lumineuse diminuait pour laisser place à une délicieuse nuit noire, propice à la clandestinité. Mais même dans ces instants-là, l'obscurité n'était pas totale ; des lumières d'origines diverses transperçaient la nuit. Elles étaient cependant faibles et créaient des ombres, alliées qui les dérobaient aux regards.

Elles avaient appris à se risquer timidement au-dehors, à ne pas s'aventurer loin de leur sanctuaire. Elles se nourrissaient de créatures de la nuit, comme elles, et il leur arrivait souvent de tomber sur une pâture qui n'était pas chaude et ne se débattait pas sous l'étreinte de leurs mâchoires coupantes. Le goût n'était pas aussi enivrant que celui de la chair vivante, tiède et humide, mais leur remplissait l'estomac et elles s'en repaissaient.

Pourtant, là aussi, elles se montraient prudentes, n'en prenant jamais trop, ne revenant jamais à la même source, car elles possédaient un sens inné de la ruse, issu d'une sorte de peur intense de leur ennemi naturel ; c'était le résultat d'un événement qui avait affecté leur espèce bien des années auparavant. Un fait qui avait modifié le cours de leur évolution et qui les rendait même étrangères aux créatures de la même race.

Elles avaient appris à se confiner dans les profondeurs. A ne pas s'exposer aux regards de l'ennemi. A mettre leur nourriture à l'abri, veillant à ne pas attirer l'attention. A tuer d'autres créatures sans jamais laisser de traces. Et lorsque la nourriture venait à manquer, elles s'entre-dévoraient. Car elles étaient fort nombreuses.

Elles se déplaçaient dans l'obscurité ; noire, le poil hérissé, elles avaient un arrière-train courbé aux proportions démesurées, de longues incisives acérées et des yeux jaunes perçants. Ces bêtes reniflaient l'humidité, et un instinct, venant du plus profond d'elles-mêmes, les poussait à chercher une odeur différente, qu'elles ne connaissaient pas encore, une suave odeur de sang frais. Du sang humain. Elles n'allaient pas tarder à la connaître.

Soudain, elles se figèrent. Leurs longues oreilles venaient de percevoir un mugissement lointain, une plainte obsédante qu'elles n'avaient jamais entendue auparavant. Elles ne bougeaient pas ; bon nombre d'entre elles s'étaient dressées sur leur arrière-train, le museau fébrile, le poil hérissé. Elles écoutaient, en proie à une peur intense tout le temps que dura le bruit.

Puis vint le silence, un silence plus effrayant encore.

Elles attendirent, n'osant pas bouger, respirant à peine.

Un long moment s'écoula avant l'arrivée de l'orage et ce fut un million de fois plus étourdissant que les bolides géants avec lesquels elles partageaient les tunnels.

Cela commença par un grondement sourd qui se transforma très vite en vacarme, ébranlant leur univers souterrain, déchirant les ténèbres, s'attaquant aux murs, au toit, soulevant le sol et projetant les créatures les unes sur les autres. Elles se lacéraient mutuellement avec frénésie, à coups de griffes et de dents affûtées comme des lames de rasoir.

De nouveau, un bruit de tonnerre, cette fois venu d'ailleurs.

Poussière, vapeurs, bruits emplissaient l'air.

Un grondement s'amplifiant en cris perçants.

Et des grondements, encore et encore.

Le monde et le bas-monde en proie aux frissonnements.

Puis des hurlements.

Alors les créatures au pelage noir détalèrent, s'efforçant d'accéder à leur sanctuaire dans un labyrinthe de tunnels. Luttant pour la vie, assourdies par le bruit, couinant de peur, elles tentaient désespérément de retourner vers la Reine Mère et ses étranges cohortes.

Les cavernes construites par l'homme frémirent tout en résistant à la pression déchaînée du monde d'en haut. Des pans entiers s'écroulaient, d'autres étaient envahis par les flots, mais les voies centrales résistaient aux impacts qui anéantissaient la ville.

Au bout d'un moment, le silence revint.

Hormis le bruit de la débandade de la horde des créatures aux pattes griffues.